Le chiffre est vertigineux : plus de 11,5 millions d’écoutes en streaming en une semaine. Lettre à une femme de Ninho, extrait de sa mixtape M.I.L.S 3 sorti le 7 mars dernier, n’est pas seulement le titre qui a généré le plus d’écoutes en ligne sur ce début d’année en une journée (le 9 mars) puis en une semaine : il a même battu d’une courte tête le record détenu l’an dernier par Au DD de PNL, sorti l’an dernier. Résultat implacable : Lettre à une femme est premier au classement SNEP des singles cette semaine, devant neuf autres morceaux tirés de M.I.L.S 3, permettant à Ninho de décrocher un nouveau disque d’or. Ironie de ce classement des singles : le seul morceau du top 10 qui résiste est le 6.3. de Naps avec… Ninho.
Évidemment, l’aura de N.I. joue sans doute beaucoup sur le succès de Lettre à une femme, puisqu’il est l’un des artistes rap français les plus populaires avec Nekfeu et le duo PNL. Son album précédent, Destin, est ainsi certifié double disque de platine, et a même vendu l’équivalent de quatre, avec 400.000 exemplaires vendus, équivalences streaming comprises. Pourtant, ce Lettre à une femme est un morceau atypique. Ni un single officiel (rôle attribué au morceau M.I.L.S 3, sorti le 27 février), ni un tube évident, même pas un banger : juste une déclaration d’amour un brin naïve chantée sous auto-tune. Le morceau aligne certains poncifs : les promesses à tenir, la difficile compatibilité entre vie d’artiste et vie sentimentale, les attentes (“j’suis un loup du binks, à mes côtés, il m’faut une panthère, qui ressemble à ma mère”). Mais le chanson adressée directement à une inconnue à la deuxième personne permet à N.I. d’écrire un texte qui peut toucher n’importe quelle de ses auditrices ou auditeurs directement. Un procédé d’écriture renforce d’ailleurs cette impression de confession : “Dans le refrain, il différencie Ninho de William, son vrai prénom”, explique Brice Bossavie, journaliste pour Tsugi, Next et l’Abcdr du Son. “Il montre bien que c’est lui et non pas l’artiste qui parle. Ça renforce le côté à coeur ouvert, et rappelle presque le morceau William de Damso, dont c’est le vrai prénom aussi, à la fin de l’album Lithopédion.”
Les deux morceaux ont un autre point commun : leur interprétation et leur direction musicale, avec un instrumental sans beat, qui peuvent aussi expliquer le succès de Lettre à femme. “J’ai été un intrigué par cette absence de rythmique”, ajoute Brice Bossavie. “C’est un truc très chanson française : dès que tu as plein de choses sur le cœur à dire, tu enlèves la rythmique et tu prends un piano. Ce morceau, c’est presque un piano-voix ! Il n’y a pas besoin de plus que quatre accords, avec Ninho qui ne pousse pas sa voix, il est quasiment en voix de tête. Il perpétue quelque chose de très français, un genre de romantisme mélancolique écrit à la lumière d’une bougie”__. Ninho avait déjà fait dans le romantisme, toujours avec succès et dans des formes différentes, confessionnelles ou passionnées, posées ou dansantes, avec des morceaux comme Dis moi que tu m’aimes, Mamacita, Rose et Jamais. Mais cette fois, ce ton et cette forme différentes jouent sans doute encore plus sur le carton de Lettre à une femme.